Le Philosophe autodidacte (Ibn Tufayl)
Voici quelques réflexions sur le « Philosophe autodidacte » que je viens de terminer.
Tout d’abords, il convient de se replacer dans le contexte historique, c’est-à-dire le moyen-âge bien que celui-ci fut plus éclairé au sud de l’Europe, c’est-à-dire l’Espagne et à plus proprement parler l’Andalousie. En effet, il serait vain de chercher une connotation philosophique moderne à un écrit qui culturellement et historiquement est différent de ce que l’on peut appréhender aujourd’hui.
Ibn Tufayl est le mentor d’Averroès et l’élève d’Avicenne, alors il est clair que l’on va retrouver pour partie chez IbnTufayl les principes philosophique d’Aristote qui a été révélé dans le monde chrétien du moyen-âge par Averroès. Ceci ne diminue en rien la portée de ce petit livre, mais en facilite la compréhension, car toutes les doctrines à cette époque, bien sûr, j’exclue la scolastique, toutes les principales doctrines philosophique avaient comme origine la Grèce et le monde antique hellénique.
D’autre part, la traduction est une traduction moderne de l’arabe et la plus récentes d’arabe en arabe remonte à Beyrouth en 1938. Les traducteurs modernes, bien que grands connaisseurs de l’islam et islampohilles convaincus comme Léon Gauthier, sont dans l’incapacité de traduire deux facteurs qui me semblent fondamentaux, j’ai voulu citer l’âme de la langue qui ne peut être comprise dans son tout que par celui dont la langue est la langue maternelle et puis aussi, le rhétorique moyenâgeuse si particulière. Ces deux facteurs sont très importants, et l’on retrouve ces problèmes dans toutes les traductions philosophiques de n’importe quel âge.
Ceci posé, encore une précaution, c’est celle de la culture judéo-chrétienne à laquelle j’appartiens qui va m’empêcher de saisir totalement toutes les subtilités de la langue d’Orient et surtout, sa démarche intellectuelle, mais bon, imaginons que je sois assez instruit pour faire une exégèse qui n’aura d’autre responsable que moi-même.
Venons-en maintenant au livre tel que je l’ai perçu. Je distinguerais deux parties l’une philosophique et l’autre mystique.
Dans la première partie philosophique, selon les introductions, Havy est né de génération spontanée ou arrive sur son île dans un « couffin ». Cela n’est pas sans rappeler Moïse qui dérivait sur le Nil dans son berceau en bambou. Cela provient de la même veine car il faut bien trouver une origine à celui qui est.
Son recueil par une gazelle fit penser à Zeus qui caché par sa mère Hera de peur que son père ne le mange (Chronos) fut élevé par une chèvre (Almalthée) et au début de sa vie traversa les mêmes épreuves initiatiques que Havy. Ceci ne me semble pas être une coïncidence, car, les légendes étaient communes par exemple celle du déluge qui a été repris par au moins deux religions si ce n’est les trois religions révélées. Il faut donc voir dans le début de ce récit du moins, une communauté de métaphores qui engendrant une initiation vont conduire à l’élaboration de l’être parfait.
Par contre là où les récits mythologiques diffèrent totalement c’est par le rationalisme de la déduction. En effet, autant les récits mythologiques, bibliques sont souvent couverts par l’irrationnel et pour certain s’abritent derrière ce qui deviendra le dogme, le récit d’Ibn Tufayl, a sans cesse le besoin sinon de se justifier mais d’expliquer le processus spirituel de son héros. Alors ceci se manifeste par un crescendo d’images et de postures qui bientôt vont le conduire à une démarche mystique, c’est-à-dire la révélation par lui-même d’une entité supérieure avec laquelle il dialoguera, et souvent s’identifiera. On pourrait, faire des schémas de la démarche spirituelle d’Havy, et ce rationalisme dans la pensée ou du moins dans l’explication par étage du processus intellectuel du héros, est trop à mon sens pédagogique et par là prosélyte.
En effet, je considère que la première partie du livre et peut-être une partie chevauchant la deuxième a pour but l’explicatif de la révélation, on retrouve d’ailleurs le même enchaînement dans les écrits du droit canon où dans certaines bulles du Pape qui commençant par un exercice de recherche spirituelle, débouchent immanquablement sur le dogme et sa position rigide.
Mais entendons nous bien, la démarche d’Ibn Tufayl n’est absolument pas remise en cause, car il nous prévient par le titre de l’ouvrage, « Le philosophe autodidacte » ce qui tendrait à signifier qu’il n’y a eu aucune révélation et que la connaissance s’est faite de façon empirique. Cela ne tient pas la route, car la réflexion d’Havy fait appel déjà à des connaissances qui relèvent de la révélation et de la religion et que l’auteur appelle « l’union mystique »
Donc la première partie du livre peut être considérée comme une allégorie pour nous conduire à la révélation de ce qui se s’appelle pas une religion, mais une identification à une « circonférence »supérieure ».
Dans la deuxième partie, Havy va arriver au bout de son périple des sept ans, et pour concrétiser la fin ultime de son engagement initiatique va être obligé de communiquer c’est-à-dire de justifier sa spiritualité. Alors, la seule façon c’est de se « frotter » au monde profane, d’où la rencontre avec Acâl et le déménagement sur l’Ile des vivants où il va de déconvenues en déconvenues, car il découvre l’homme.
Il va renoncer à se mettre à l’écoute des autres et va revivre sur son Ile avec Açâl, de sorte que l’union mystique qu’il avait abandonnée un moment se renouvelle en permanence. On retrouve là un thème cher au philosophe, qui est l’ascèse déjà auparavant pratiquée par Havy. Il ne sera donc pas un prophète mais au contraire, un ermite non communiquant au contraire de l’ami d’Açâl, Salaman.
Que penser de ce livre ? C’est une approche tout à fait particulière de la religion révélée. Pourquoi particulière, parce qu’elle est paradoxalement révélée par un homme en liaison directe avec Dieu, mais qui ne transmettra pas, qui évitera de prêcher dans le désert comme il le dit à la fin du livre quand il reconnait devant les autres hommes que ce qu’il dit ne sont que « billevesées » Mais attention, c’est une manière pour lui de se désengager et de se retrouver en paix sur son île. La réflexion philosophique que l’on peut retirer est de nature aristotélicienne, c’est à dire une vie d’homme juste mais non pas parmi les hommes mais parmi la vie exemptée de ces derniers. La genèse de la connaissance d’Havy est très représentative de celle de l’auteur et l’on comprend facilement dès lors le processus philosophique de la croyance et du dogme.
Tout exercice initiatique est bon à prendre, car il a le mérite de nous plonger dans une réflexion que nous n’aurions eu autrement, et celui -ci est représentatif d’une culture ancestrale ce qui est quelque part rassurant, car elle ne s’éteint jamais et que passent les siècles on retrouve les principes culturels et bâtisseurs qui ont fait notre civilisation. Je suis très sensible à ce genre de recueil car il « révèle » que la pensée des hommes ne varie pas et que ce sont les sociétés qui évoluent. La philosophie n’est pas l’apanage d’une quelconque sorte d’élite intellectuelle mais au contraire une démarche à la portée de tous si tant est que nous en ayons les moyens matériels.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais au risque de galvauder la pensée de l’auteur, je m’arrête là. Merci de m’avoir fait connaître ce petit livre condensé de réflexion initiatique et philosophique. La vie est une quête incessante de connaissance, et qui sait sans doute son but.