Un ami s'en va

 

 

 

Il s’en alla dans un doux frôlement de satin, comme dans un songe, son sourire éclairait déjà mes souvenirs mêlant une joie triste à ma mélancolie. Un ami qui vous quitte c’est une partie de vous –même qui s’égare et qui se perd dans un infini souvenir dont l’horizon  est comme un fin brouillard.

Un ami qui vous quitte, c’est cette présence concrète qui va se transformer en manque abstrait peuplé de photos  tantôt gaies tantôt floues mais qui toutes raconteront une histoire, celle de notre amitié. Le départ vers l’au-delà d’un être cher est comme celui qui nous abandonne sur le quai d’une gare avec ce sentiment mitigé d’un au revoir mais aussi d’un retour, il faut du temps pour se convaincre que ce train est celui du non-retour, que ce départ est en fait un abandon involontaire.

C’est rester seul, dans cette  solitude intemporelle, où la vie quotidienne change par ce manque indéfinissable de l’échange et du dialogue avec celui qui est parti, cette notion de manque va se faire plus présente et puis disparaître dans un oubli impalpable car l’on aura appris à vivre sans notre ami.  Tristesse des sentiments, tristesse du cœur. L’on va vers notre but, vers notre fin que nous ne pouvons nous empêcher de comparer à celle de  celui qui a disparu. Car lorsque l’on pense à lui, malgré la tendresse que l’on éprouve, un émoi caché nous interroge, c’est la finalité de tout homme, le repos épicurien, celui où l’on ne pense pas, celui où l’on est plus.

L’amitié est une aventure particulière qui nous lie à un « homme » avec lequel on partage des instants de notre vie, bons ou mauvais d’ailleurs, mais qui forge des liens indéfinissables qui sont spirituels avant d’être vivants. En effet, le plaisir de se voir, de se raconter, de philosopher, vient en aval de la  rencontre où toute la finesse de ce plaisir se retrouve d’abords dans l’attente qui précède la quiétude de ce moment attendu. Bien sûr, il serait vain d’idéaliser son ami, mais chemin faisant, l’image de celui-ci se transforme en une image dont les contours qui disparaissent inéluctablement  nous laisse un souvenir de chaleur et de soutien.

L’amitié n’est pas pluraliste, car l’amitié est dure à partager, en effet, la conscience de celui avec lequel l’on a ces moments privilégiés, est complémentaire de la nôtre, et ne peut être multipliée, elle est une, majoritaire dans l’univers du moi affectif et, il ne faudrait alors confondre amitié avec camaraderie, fraternité avec fraternel.

L’ami qui est parti, laissera désormais un vide irremplaçable, car il tenait une place particulière dans notre affect, en effet sa présence est quasiment vitale pour l’individu qui ne peut vivre en autarcie affective ; bien qu’il évolue dans le monde, dans la société, et que la vie lui apporte souvent de multiples satisfactions ; on a besoin d’un exutoire intellectuel qui sait se rendre utile dans les moments difficiles. La douceur, la compréhension qui sont le fait de notre ami, sont perdus à jamais, car il faut des années pour arriver à un degré de complicité et de communication si particulier.

Pour un homme une amitié est virile, car justement, la complicité dans l’action ne peut être mise en doute, et c’est pour cela que le chagrin dilué dans le temps qui nous perturbe tant, ne peut être comblé que par une réflexion sur soi-même et son corollaire, la soumission à la loi de la vie, celle de la vérité que l’on ne trouvera jamais. La douleur et le manque s’estompent, mais les traces indélébiles qu’ils ont laissés nous rappellent tous les jours notre ami et combien il serait agréable enfin de le retrouver ailleurs.

Nous avions trouvé en lui un véritable ancrage sentimental, il était agréable de savoir que l’autre allait nous indiquer le bon chemin, par forcement le sien d’ailleurs mais celui qui correspondait le plus à l’image qu’il se faisait de nous, c’était notre public dans une représentation dont la dernière n’arrivait jamais.

Devons-nous pleurer notre ami disparu où s’en souvenir comme une âme bienfaitrice ? Apprendre de son départ doit nous aider à acquérir une sureté face à nous-même qui si elle ne le replacera jamais nous poussera à une autonomie personnelle qui fera de nous un homme prêt à donner ce que l’autre nous à enseigné.

 

 

©2013-J-P-Henault-Ainsi-Va-La Vie