L'accomplissement du devoir jusqu'au sacrifice
Il est en effet intéressant de savoir si le devoir en tant que tel, envers soi même et envers les autres peut mener au sacrifice ? Existe-il un devoir plus fondamental que les autres qui pourrait impliquer une certaine compilation d’autres devoirs concernant le monde ? En un mot, le devoir se suffit-il à lui même comme une entité abstraite et métaphysique, ou a-t-il besoin d’être comparé, accompagné, de ses corollaires et de ses implications ?
Je ne vais évidemment pas répondre de façon catégorique et didactique à un concept qui en induit tant d’autres, mais essayer de dégager des idées qui vous me le pardonnerez, semblent à la fois évidentes pour certaines et critiquables pour les autres. En effet ma réflexion induite par ces valeurs fondamentales comme le devoir se déroule au fil du temps comme une quête sans cesse renouvelée. C’est comme cela que je conçois ma recherche de la lumière. En montant un escalier sans fin ou une interrogation succède à une autre, ou le symbole tantôt me parle et tantôt obscurcit un horizon que je pensais alors limpide. Je vais dès lors m’attacher à essayer de montrer certaines incidences philosophiques du devoir et ensuite dégager plusieurs pistes dont une est le sacrifice, associé sans faille du devoir. Pour cela faire, j’ai gardé quatre temps forts parmi tant d’autres, je vous les livre maintenant.
Devoir et liberté
Devoir et obligation morale
Devoir et raison
Devoir et amour
Et aussi une petite digression sur le devoir patriotique que je glisse maintenant discrètement sans doute parce que celui-ci est trop cruel. Il semble définitivement acquis que le devoir patriotique, celui des armes puisse mener au sacrifice consenti ou non, il s’avère d’ailleurs que le plus souvent c’est de façon non consentie. Dès lors, la notion de sacrifice est pervertie car ce sacrifice là est un sacrifice légal, qui bien qu’honorant celui qui le subit peut laisser à penser que si choix il y avait eu , ce sacrifice imposé n’aurait pas eu lieu. J’ai bien sur voulu parler du sacrifice suprême; la mort. Je ne m’appesantirai point sur la guerre et la notion de sacrifice forcé, car cela mériterait une planche que je n’ai pas voulu entreprendre ce soir.
Kant est un grand théoricien du « devoir » et je vais le laisser me guider dans ma réflexion, m’en servir un peu comme d’un fil rouge et d’un continuum tout au long de ce travail.
1. Devoir et Liberté
De même, j’ai parlé tout à l’heure de la notion de devoir forcé, mais le devoir suppose un grand espace de liberté décisionnelle.
Agir par devoir, c'est agir sans y être poussé, en dehors de toute contrainte qui pèserait sur notre volonté, en toute autonomie, par pure obéissance à un ordre de la raison que l'on se donne soi-même. Or agir en toute autonomie, c'est agir librement. Donc agir par devoir, c'est agir librement. La notion de devoir impliquerait-elle celle métaphysique de liberté ? De quelle dualité intérieure l'action accomplie librement par devoir est-elle révélatrice ? Il est facile comme le dit Kant de considérer la morale comme universelle et alors de penser que le devoir est moral obéissant à des règles connues de tous.
« Puisque l'universalité de la loi d'après laquelle des effets se produisent, constitue ce qu'on appelle proprement Nature, c'est-à-dire l'existence des objets déterminés selon des lois universelles, l'impératif universel du devoir pourrait encore être énoncé en ces termes: Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ».
Cette dualité s‘exprime à deux niveaux : le niveau de conscience primaire qui est celui de l’inéluctable et qui consiste à faire son devoir car on doit le faire, et à un deuxième niveau qui est celui de la réflexion ou celui de conscience secondaire : A-t-on le loisir de faire son devoir ? Notre propre morale nous condamne t-elle à faire notre devoir ou possédons nous notre libre arbitre, autrement dit : Faire notre devoir relève t-il de nous, ou de ne pas le faire nous condamne-t-il à l’opprobre générale, voire même à des remords, mais attention, ces remords procèdent-ils de la conscience populaire ou de nous-même ? Il est important de distinguer ce qui est de notre libre arbitre ou non. Nietzsche parle du devoir impersonnel, ruine du devoir. Il devient alors clair que le devoir doit être librement consenti et ceci pourrait devenir une définition a contrario de la liberté. Il ne faut pas confondre l’idée générale du devoir et l’idée personnelle du devoir, idée personnelle ne signifiant d’ailleurs pas idée d’une seule personne, mais plutôt l’idée morale dévoyée par quelques uns. (Exemple: le totalitarisme.)
1.bis Devoir et obligation morale
L’obligation du devoir doit être dissociée de la pure nécessité (critique de la raison pratique). Ceci est une notion assez abstraite qui va nous permettre de déboucher sur le devoir, obligation morale librement consentie donc encore une fois sur la liberté. En effet, si le devoir, fait nécessité, (par exemple le devoir d’assistance auquel nous sommes tous confronté ces jours ci), il est absolument indiscutable, personne ne va songer sérieusement à le contester.
Bien !
Ceci n’est pas neutre car apparaît maintenant la notion de la nécessité qui est. C’est à dire qui ne peut pas ne pas exister. Toute démonstration qui tendrait à prouver le contraire serait un pur syllogisme ou plutôt un pur sophisme.
Cela veut dire en fait que ce qui est nécessaire ne rentre pas dans le cadre de l’obligation morale car nous avons toujours la possibilité de ne pas faire ce qui est obligatoire c’est à dire notre devoir tandis que ce qui est nécessaire doit être accompli au risque d’échouer. Quel rapport avec la liberté et le devoir ? Il est simple, car lorsque l’on agit par devoir, obligation morale, on a toujours la possibilité de ne pas agir, donc le devoir peut être dissocié de l’obligation morale et signifier autre chose c’est à dire une autre modalité de l’action, une façon différente d’agir. Dans devoir et liberté, devoir et obligation morale, il a souvent été fait appel à la morale, pas à la moralité, mais à la notion philosophique de la morale, on pourrait dire que Kant à une vue non pas réductrice, mais exhaustive de la morale.
Par définition, il nous dit que le devoir est le respect pur et simple de la loi morale, mais une action morale se justifie par elle même, elle n’a pas besoin d’une grande explication, la morale, c’est le respect des principes. La morale est de nature normative c'est-à-dire qu’elle intime en fait à chacun de suivre l’usage : ce que l’on a l’habitude de définir par la norme ou le principe culturel. Donc, nous voyons que le respect des principes, s’impose comme catégorique dès que l’on entreprend une action qui semble relever de notre devoir, ceci n’est pas le devoir, c’est le respect d’une obligation, qui elle peut mener jusqu’au sacrifice. Le devoir serait plutôt la résultante d’un choix que l’on a de faire ou de ne pas faire une quelconque action, par contre si notre décisionnel est de faire, cela peut mener au sacrifice aussi. On voit dès lors l’ambiguïté de la notion du devoir qui peut mener au sacrifice, ne perdant pas de vue que le sacrifice n’est que la résultante du devoir ou de l’action commandée. Une autre façon d’expliquer la différence entre l’action commandée et le devoir serait de dire que l’on agit conformément au devoir et non pas par devoir. Nous avons donc dissocié et analysé, devoir, nécessité, obligation morale et montré que le devoir est associé à une notion forte qui est celle de la liberté.
2. Devoir et raison
La raison exerce sa liberté en légiférant par des principes, mais en même temps, elle est esclave par la sensibilité.
La raison entend ramener l’homme à un intellect froid, mû par de purs principes, mais l’homme est un être de chair et de passion, qui suit davantage l’élan de ses sentiments que les déterminations abstraites de sa raison. La raison discursive (intrinsèque) est froide et sèche. Elle n’a pas la chaleur et la vie du sentiment, elle n’a pas de cœur, mais seulement des principes. Exiger des hommes qu’ils suivent la pure raison, c’est imposer l’idée que le devoir est toujours un sacrifice, une humiliation pour la nature humaine. Ce qui est inhumain.
Ceci tendrait à dire que la raison obéit à des principes qui ne souffrant pas la discussion doivent être systématiquement appliqués nonobstant le cœur, pourquoi pas ? L’on a envie de répondre que le devoir ce n’est pas cela, que le devoir fait partie de nos œuvres vives et qu’évidemment ceci est une vue réductrice du concept. Mais il est très curieux de voir les nombreux paradoxes qui nous assaillent véritablement lorsque l’on conteste le rigorisme du devoir, l’on tombe tout de suite dans sa notion métaphysique et par exemple :
Sic :
« Etre bienfaisant, quand on le peut, est un devoir, et de plus il y a certaines âmes si portées à la sympathie, que même sans un autre motif de vanité ou d'intérêt, elles éprouvent une satisfaction intime à répandre la joie autour d'elles et qu'elles peuvent jouir du contentement d'autrui en tant qu'il est leur oeuvre. Mais je prétends que dans ce cas, une telle action, si conforme au devoir, si aimable qu'elle soit, n'a pas cependant de valeur morale véritable, qu'elle va de pair avec d'autres inclinations, avec l'ambition par exemple qui, lorsqu'elle tombe heureusement sur ce qui est réellement en accord avec l'intérêt public et le devoir, sur ce qui par conséquent est honorable, mérite louange et encouragement, mais non respect ; car il manque à la maxime la valeur morale, c'est-à-dire que ces actions soient faites, non par inclination, mais par devoir. Supposez donc que l'âme de ce philanthrope soit assombrie par un de ces chagrins personnels qui étouffent toute sympathie pour le sort d'autrui »
Kant (Métaphysique des mœurs).
Alors cela devient compliqué, car d’un coté on a montré que le devoir moral est rigueur et de l’autre on montre que si le devoir est accompli de noble façon il est entaché voir même pollué par les sentiments qui le gouvernent. Je commence à croire dès lors qu’une distinction subtile va se faire avec la notion du sacrifice librement consenti, c’est à dire avec l’amour.
3. Devoir et amour
La conscience morale est un sentiment vrai pour elle même, elle est sensibilité morale, ce qui veut dire qu’antérieurement à toute les morales, il y a le sentiment de la souffrance.
De même, toute morale, pour autant qu’elle soit sincère, part nécessairement de la compassion. Or la compassion n’est rien d‘autre que l’expression de l’amour. L’amour ne calcule pas. Il donne et le don de soi de l’amour est en soi complet. Jankélévitch dit que l’amour est la seule obligation parfaitement suffisante. Seul l'amour se suffit à lui-même, en deçà de toute raison. Le sentiment de l’amour seul peut donner sa justification ultime au devoir et en même temps ne pas porter atteinte à la sensibilité de celui qui accomplit son devoir. D’aucun dirons que l’amour obéit souvent à des pulsions irréfléchies, mais justement c’est parce que l’amour ne se calcule pas qu’il fait déplacer des montagnes. La pulsion amoureuse est profondément altruiste, elle transcende le devoir, elle le convertit en un sacrifice pur et la vraie valeur morale du devoir apparaît dès lors comme une conséquence naturelle de son engagement envers l’autre. Peut-il y avoir une expression du devoir qui mène au sacrifice, personnellement je ne le crois pas sauf lorsque devoir et amour son intimement liés. Il est intéressant de constater qu’au delà de la morale rigoriste et rationaliste, il existe des sentiments caractéristiques du merveilleux, qui dépassent toutes les frontières du quantifiable, et qui lorsqu’ils sont réunis dans une alchimie magique trouvent leur conclusion fatale dans l’absolu c’est à dire dans le sacrifice. Faire son devoir « parce qu’il le faut » ce n’est pas le faire de soi-même, ce n’est pas le faire par amour. C’est laisser une division entre le cœur et l’esprit, c’est imposer au cœur une mortification tandis que l’esprit est sèchement élevé dans la discipline.
4. Conclusion
Comment pouvons-nous mettre en accord ces vérités morales profondes qui doivent devenir la synthèse de notre expérience.
Il n’y a pas plusieurs devoirs et plusieurs sacrifice, il n’y a pas de hiérarchie dans le devoir car le devoir est à la fois un, envers soi-même et envers les autres. Tout homme a le droit de prétendre au respect de ses semblables et réciproquement il est obligé au respect envers chacun d'entre eux. L'humanité elle-même est digne; en effet l'homme ne doit jamais être utilisé simplement comme moyen par aucun homme ni par un autre, ni même par lui-même, mais toujours en même temps aussi comme un but, et c'est en ceci précisément que consiste notre idéal maçonnique. Dignité de la personnalité, grâce à laquelle il s'élève au-dessus des autres êtres du monde, qui ne sont point des hommes et qui peuvent lui servir d'instruments, c'est-à-dire au-dessus de toutes les choses ; par conséquent sur lui repose un devoir qui se rapporte au respect qui doit être témoigné à tout autre homme. Là ou est le devoir sont tous les devoirs. Le devoir entraîne une notion de plénitude, Sénèque appelle « souverain bien », l’âme qui méprise les coups de la fortune et se plait dans la vertu.
Il est m’est agréable de penser qu’au delà d’un exercice introspectif qui j’en suis sûr ne m’apportera pas de solution, le devoir et le sacrifice sont mêlés et que ceci constitue notre « Souverain bien ».
Notes de travail : Kant, Métaphysique des mœurs, Critique de la raison pratique.
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
Au gré des dissertations philosophiques de troisième année.
Sénèque : Lettres à Epictète.
Notes de réflexions : Dualité du devoir, devoir et liberté, devoir et obligation morale.
Faire son devoir et en attendre un retour.
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