L’exigence de la vérité est-elle compatible avec le soucis d'être tolérant ?
Le Français nous donne cette possibilité extraordinaire de pouvoir jouer avec les mots, les assembler, les permuter et chaque fois leur donner une signification différente de celle qui apparaissait dans la phrase originale, et par là même accepter le véritable sens du mot dans son contexte, ce qui ne voudra pas forcément dire la première acception, dirons-nous « De visu ». En effet, si l’on s’en tient à la première lecture de ce titre on peut simplement répondre « oui » et là tout est fini, le cercle est refermé et l’on peut se reposer content d’avoir répondu à une question ardue par un mot simple, un signifiant qui ne souffre pas d’ambiguïté.
Mais une étude, une réflexion ne s’embarrasse pas de réponse manichéenne si je puis dire. Oui et non font certes partie du langage courant mais pour ce qu’ils sont, c'est-à-dire une réponse simple à une question simple. La question qui est posée aujourd’hui ne l’est pas, et elle nous invite à un voyage à l’intérieur de nous-même afin de reconnaître et de savoir, où se situe la limite entre la vérité et la tolérance.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit, la tolérance est une notion moderne, bien qu’elle ne soit pas nouvelle, elle fait partie intrinsèquement de notre vie et tous les jours elle nous interpelle dans sa « vérité » relative. La tolérance a été mise en avant par le siècle des lumières, ne parlons pas des péripéties qui ont vu l’avènement de l’encyclopédie par exemple. On a l’habitude d’opposer l’esprit des lumières face à l’obscurantisme religieux.
J’ai parlé plus haut de la valeur toute relative des vertus que sont tolérance et vérité, et je vais maintenant m’en expliquer. Si l’on explore la relativité de ces belles vertus, on s’aperçoit vite qu’elle est dépendante de chacun de nous, et qu’elle n’a pas la même valeur selon l’un ou l’autre, en effet le bassin culturel dans lequel nous évoluons nous formate dès le début de notre plus tendre enfance, et il est clair que l’idée de tolérance et de vérité n’est pas la même pour un occidental que pour un autre. Mais plus loin, ce formatage du concept sera aussi différent d’une personnalité à l’autre avec une compréhension et une explication plus entendue chez tel ou tel groupe. On pourrait dire que le concept de tolérance et de vérité est conventionnel dans notre société judéo-chrétienne. La tolérance, peut vite devenir une exigence éthique, ce qui va la rendre paradoxale, mais elle est tempérée par la vérité et c’est à cet instant que l’on peut dire qu’une vertu en tempère une autre. Cela n’est pas satisfaisant, car cela reviendrait à dire qu’une vertu ne se suffit pas à elle- même comme un concept, mais qu’elle a besoin d’une autre pour trouver sa justification.
Citons les trois vertus majeures, Foi, Espérance, Charité, se suffisent-elles à elles mêmes ? Oui, en quelque sorte car chacune représente un état transcendantal complet, mais, elles sont associées ce qui leur donne une force supplémentaire. On voit donc encore une foi, qu’une vertu, si elle est une et indivisible, peut prendre force si on l’associe à une autre. Il en est de même pour la tolérance et la vérité.
Associant vérité et tolérance, c'est-à-dire en donnant un « garde-fou » à la tolérance signifierait, jusqu’où l’on ne peut pas aller. C'est-à-dire qu’être tolérant risquerait de masquer la vérité et de s’en accommoder selon un principe de libre arbitre qui dépendrait de chacun. Alors, la vérité ne jaillirait que de la dimension intellectuelle de la tolérance de l’autre. Autrement dit, il y aurait plusieurs vérités selon le degré de tolérance de chacun.
Ceci me rappelle le IVème amendement de la constitution des Etats Unis, où, l’on ne peut ne pas répondre à une question si celle-ci met en péril votre intégrité morale. Il ne s’agit pas ici de se dérober et penser que l’homme étant ce qu’il est, ses possibilités de réflexions varient selon sa propre conscience. Il faut se donner des limites et circonscrire la tolérance dans son espace de vérité, mais alors est-ce de nouveau sa propre idée de la vérité acquise ou ressentie qui conditionnerait notre concept de tolérance ?
Sic : « Mais cette attitude, cette exigence qu’impose la vérité, ne rend pas du même coup impossible une attitude de l’intolérance qui par définition est bien l’admission de la différence? La vérité est-elle ainsi intransigeante ou y’a t-il une possibilité de lier à la fois l’exigence de la vérité et la tolérance ?
Le conditionnement de chacun ne peut, à l’intérieur de notre civilisation mettre en jeu la tolérance face à la vérité. Il est trop facile de s’inventer une posture qui ne résisterait pas à l’examen approfondi de son moi profond. Un élément de réponse apparait, et c’est de dire que sa propre tolérance varie dans le même sens que sa vérité, mais alors, cela revient à s’approprier les vertus de tolérance et de vérité et comme je l’ai dit plus haut, les adapter a son contexte personnel ou environnemental, se donner des limites que l’on peut juger satisfaisantes selon l’évènement.
Ceci est véritablement un élément de réponse car ces deux vertus sont façonnées intrinsèquement par l’individu. Le seul défaut de ce raisonnement vient du fait que l’on apporte en fait une solution à tout problème si l’on généralise la vertu selon le type de l’individu, faisant fi de la valeur universelle de la vertu.
L’on aura bien compris, qu’il est humain de se définir une attitude gratifiante vis-à-vis des autres et de dire : « Je ne suis pas tolérant avec moi-même, alors ne me demande pas de l’être avec les autres. » cela pourrait être une interprétation du mythe de Narcisse qui ne souffre pas plus beau que lui » Il n’existe plus d’interrogation, les choses sont posées et dites, l’on a franchis le Rubicon de la pensée en considérant que la tolérance est une vertu éthique qu’il convient de respecter sans se soucier de l’autre, c’est la pure définition de l’intolérance, indifférence généralisée vis-à-vis des autres.
Ecoutons Sartre dans « l’Etre et le néant » : « Tolérer c’est faire en sorte que l’autre dépende de moi, de moi, de ma bonne volonté à son égard, ceci est plutôt la négation de la liberté de l’autre, puisqu’à travers une telle attitude, je fais de ma liberté la condition de la sienne ». L’on perçoit que la tolérance n’est pas si éloignée de l’intolérance ceci étant un véritable cas particulier. Le phénomène n’est pas nouveaux, citons Mélanie Klein dans son ouvrage « Envie et gratitude »qui oppose les bons et les mauvais sentiments en montrant que la frontière entre les deux n’est pas toujours significative : envie et jalousie, fierté et orgueil, amour et passion.
A travers ces différents exemples, se profile idée de savoir si la vérité est conditionnée par la tolérance, et aussi s’il faut à tout crin exiger la vérité quitte à engendrer le chaos. Remarquons d’ailleurs que si nous avons associé vérité et tolérance en cherchant si l’un dépendait de l’autre, les principes philosophiques qui m’ont aidé à circonscrire la tolérance dans son sens conceptuel, peuvent également s’appliquer à la vérité. Mais il est nécessaire de s’arrêter un instant sur la notion de vérité.
Comme nous l’avons vu, une vérité révélée abruptement peut engendrer le chaos. Descartes, base surtout sa recherche de la vérité à travers la religion, ce qui est un moyen de discerner le vrai du faux selon lui, mais admirons le processus intellectuel déductif de Descartes. Il part du principe que créé à l’image de Dieu, il ne peut faire d’erreur car il est parfait, seulement, sa vérité d’homme est dépassée par sa propre volonté ce qui le conduit à " Pécher " faire des erreurs. Il considère donc, que la volonté ayant plus d’emprise que sa connaissance il ne peut y résister et nous trouvons là les principes de la "métaphysique" cartésienne.
Dans le discours de la méthode, Descartes se dit avancer masqué. Ce n’est point pour qu’on ne puisse le reconnaître mais parce qu’il doute de lui, et le terme « masqué» correspond en fait à son manque de connaissance de lui-même. Que pouvons-nous retirer de ces considérations cartésiennes métaphysiques. D’abords, l’homme est unique et ne pense qu’à travers lui-même ses sentiments étant parfois trop puissants pour lui faire suivre le bon chemin.
Mais à la différence de Descartes la question posée sous-entend que nous ayons le souci d’être tolérant, ceci étant, l’on pourrait comme je l’ai déjà écrit couper court à tout raisonnement car si l’on a compris SA tolérance, l’on s’est compris soi-même et alors vous le comprenez c’est parfaitement impossible. Il nous faut donc une aide et regardons chez Nietzsche.
Pour Nietzsche, il y a urgence, le surhomme doit advenir pour détruire sans scrupule les anciennes valeurs manichéennes qui n'ont aucun fondement rationnel, car celles dites mauvaises se révèlent bonnes et inversement. Par exemple, l'amour du prochain, un acte purement égoïste et méprisable qui sert à recevoir l'estime des autres ; ou bien les fabulations de la justice qui pense punir une exception dans un criminel, alors qu'il n'est que l'arbre qui cache la forêt, dissimulant les pires passions mortelles d'une société tout entière. Nous voyons donc, que si nous ne voulons pas considérer la réponse à notre question de façon manichéenne, il faut se dépasser c'est-à-dire entamer une réflexion sur soi-même afin de ne pas succomber aux démons de la facilité. Il y a un symbole qui à mon sens résume parfaitement ce manichéisme individuel, c’est le pavé mosaïque qui représente l’avantage de signifier ce que l’on veut qu’il signifie, ce qui, est le rôle de tout symbole. Mais nous reviendrons à Nietzsche qui malgré sa profonde maladie à su clore son œuvre de façon magistrale sur l’homme et sa fatuité. La vérité et la tolérance ne s’apprennent pas, elles se cultivent selon chaque individu et selon l’enrichissement intellectuel que celui-ci aura pu recevoir. « Nul n’entre ici s’il n’est point géomètre » La question est posée, sommes-nous des géomètres du verbe et de la pensée ? Car après tout nous sommes ici pour reconstruire le temple universel, celui qui procurera à chacun la faculté » de pouvoir s’améliorer au contact des autres.
Ce long détour inspiré par Nietzsche nous démontre deux aspects de la vérité face à la tolérance ; Le premier c’est de savoir que ce n’est pas inné mais formaté, par la même avec une possibilité d’amélioration, c’est ce que nous essayons de faire tout au long de notre vie, le second, c’est que l’apprentissage de la vertu peut passer par des chemins tortueux et remettre en cause tout l’acquis. Méfions-nous de Narcisse. Les trois vertus majeures forment un tout, tout rapport religieux mis à part, elles synthétisent à elles trois toute la beauté du savoir et de la plénitude de l’ego. En effet, la foi accompagne l’homme tout au long de sa vie nonobstant la forme qu’elle prend, la charité nous retourne vers les autres, et l’espérance est le moteur ultime de la vie sans lequel elle devient impossible. Ces trois vertus donc prises ensemble, sont la représentation complète de l'homme parfait et ainsi celui-ci sera à même de distinguer avec objectivité le cercle de tolérance dans lequel il évolue.
Nous avons vu que nous avions tous les moyens symboliques, culturels et historique pour nous permettre selon chacun d’entre nous, pour nous permettre d’accepter la tolérance comme une vertu nécessaire à la vie en commun. Cherchons un peu, et essayons de définir la tolérance vis-à-vis de l’autre. Je me représente souvent la tolérance comme un cercle dont je serai le centre, cercle à géométrie variable pourquoi ? D’abords vis-à-vis de soi, car la tolérance n’est pas une valeur qui est pleine et entière elle dépend de soi et de l’autre, c’est un paramètre complexe qui varie dans le temps et dans la conjoncture. Sa propre tolérance existe jusqu’au moment où l’autre entrera trop loin dans le cercle et ce sera là la frontière avec l’intolérance. J’ai cité le pavé mosaïque et l’on voit bien la dualité du symbole qui d’un côté nous suggère un passage progressif à la réflexion abrupte et de l’autre côté, les carreaux noirs et blancs qui apparaissent avec tant de clarté.
Il est très difficile de remettre en cause des valeurs si profondément enracinées en nous-même. Ma tolérance varie selon les circonstances et ma vérité n’est pas forcement celle de l’autre.
Avons-nous avancés, il me semble que oui, car nonobstant la sagesse qui vient avec l’âge.., notre étude a sans doute pu réussir à affiner nos deux vertus pour pouvoir maintenant les accepter et les faire varier ensemble. De l’ignorance à la sagesse, se situe le chemin de la liberté de croire, le tout étant de ne pas se laisser piéger par ses constructions mentales tout en entretenant l’illusion selon laquelle nous devrions avoir une parfaite maîtrise sur les évènements. L’exigence de la vérité est cette attitude qu’ont toutes les personnes qui recherchent d’abord à satisfaire la connaissance des choses en elle-même c’est à dire dans leur vérité. Or, la recherche de la vérité peut être une recherche qui pousse la réflexion dans tous les recoins de l’âme et de ce fait élimine toute attitude de compromis, de relativité et d’approximation. Ce qui est recherché c’est la vérité et rien d’autre.
Il est souvent facile de répondre à une question en contestant la réponse d’un autre ce qui dispense le contestataire d’une propre recherche personnelle (exemple, Gilson contestant Bergson ou M. Onfray contestant Freud). Le premier devoir d’un homme est de savoir réintégrer l’esprit dans l’intelligence, c'est-à-dire de savoir quand commence la désillusion d’une vérité bien établie et c’est là que commence le problème. Il est impossible évidemment de répondre à cette question de manière rationaliste, car l’on a vu qu’elle dépendait de trop de paramètres pour être justement rationaliste, d’ailleurs, ne parlons pas de question mais plutôt d’interrogation ou de recherche philosophique sur la qualité de la réflexion. Deux vertus ne peuvent s’affronter, car de vertus elles passeraient immédiatement au niveau de l’idée ce qui leur retirerait leur caractère universel, ces deux vertus ne peuvent être que complémentaires, mais alors là aussi le pouvoir existentiel de l’une ne serait que condamné à ne pas exister sans l’autre.
Elles ne peuvent donc varier que l’une avec l’autre ou bien et nous le savons maintenant varier seules en fonction des circonstances et de l’individu. La recherche intellectuelle s’affine ou tout du moins elle essaie, avec l’étude et la recherche. La question que je posai dans la première partie de mon texte, déjà acceptait de faire varier la tolérance avec la vérité et vice versa. C’était un sentiment empirique, mais qui s’est à mon sens révélé exact, quelle est la valeur de l’empirisme face à la recherche, disons si l’on oublie la science, la valeur de l’empirisme peut être un point de départ ou un facteur déclenchant de la recherche.
En effet, il s’agit de savoir de quelle vérité l’on parle à partir du moment où sa tolérance est définie comme faisant partie de soi-même. Si ces deux vertus se suffisent à elle-même et n’ont pas besoin de l’autre pour exister, la vérité sera celle du cœur et comme la tolérance elle nous appartient. Il est à mon sens dès lors inconcevable de limiter l’une par rapport à l’autre, car si dépendante de l’individu. Il est intéressant et là je me permettrai de prendre toutes les précautions d’usage, de considérer le syndrome d’Asperger dans une forme connue d’autisme.
Cela nous pousse-t-il loin de note réflexion, je ne le crois pas, car les ressources intellectuelles dont font preuves les malades (Einstein) dépassent l’entendement. L’autisme a pour principale caractéristique de limiter les échanges du malade avec le monde extérieur. Intrinsèquement, il n’y a pas ou peu de communication mais peut-on imaginer la richesse intérieure de ces malades, quelle est leur vérité, quel est leur degré de tolérance, j’ai choisi à dessein le syndrome d’Asperger car ce sont les plus communiquant parmi ces malades et je me suis souvent demandé au vu de leur richesse intellectuelle quelle pouvait être leur richesse sentimentale. C’est pour cela à travers cet exemple (que Bettelheim infirme dans « La forteresse vide ») que je relative les comportements et que j’estime que tout sentiment est global et inhérent à l’individu concerné, le seul problème avec cet exemple est la non communication avec le monde extérieur, mais existe-il au-delà une perméabilité intellectuelle qui forgerait de nouveaux rapport entre les êtres humains ?
Nous ne pouvons systématiquement au gré d’une étude remettre en question la valeur de telle ou telle vertu, ce serait bien prétentieux et surtout, cela ne mènerait à rien au niveau du concept, il s’agit seulement d’accepter le fait que d’autres peuvent avoir des relations et des idées complètement opposées aux notres sans que pour cela elles soient contestables.
Laisser dériver sa pensée lors d’un voyage comme celui que je suis en train de vivre est un luxe dont je perçois la richesse. Au détour d’une sentence, question, on peut trouver un devoir philosophique rigoureux et bien construit ou alors entrer à l’intérieur de soi-même et suivre des chemins de traverse pour parfois revenir sur la grand-route et puis s’en écarter de nouveau. L'homme toujours selon moi se trouve au centre d’une spirale et il doit essayer par tous les moyens de sortir de cette spirale en escaladant les marches de sa connaissance. Il est aussi difficile de s’interroger sur soi que d’écouter les autres. Nietzsche a encore une foi résolu le problème (« Ainsi parlait Zarathoustra ») en disant :
« Il est terrible de vivre seul sous le souffle glacial de sa propre loi ».
L’esprit de tolérance qui doit nous animer ne dépend pas de la vérité globale de la société mais de sa propre vérité. Nous devons essayer autant que faire se peut de perfectionner notre ego tout au long de notre parcours. Je ne peux et ne m’en tenez pas rigueur trouver de plus belle conclusion à cette étude que cette citation
"C’est l’homme qui réalise toutes ces puissances latentes pour le service divin de l’humanité ".
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