Je suis mort ce matin
Je suis mort ce matin ou ce soir, ça n’a vraiment pas d’importance car après les larmes conventionnelles, les éloges de certains hypocrites et la douleur de mes proches, je suis bel et bien mort et c’est comme ça, il faut s’en convaincre, il n’y a plus rien à faire.
Mais ce qui est curieux, c’est que je le sais, j’en suis conscient en étant mort, paradoxe qui vous allez le voir n’est pas le premier. Car la mort elle-même est un paradoxe, en effet comment peut-on effacer toute une vie en un instant ? La notion de durée se transforme en notion d’espace-temps, car il faut moins de temps pour mourir que pour survivre. Quand l’on est vivant, l'on vit toujours dans le futur ou dans le passé, tout dépend de l’acception que l’on donne à ces deux termes, Einstein a dit :"Pour un physicien, la distinction entre le présent, le futur et l'avenir ne sont qu'une illusion". mais ce qui est sûr, c’est que l’on ne vit jamais le moment présent car il est déjà passé et le temps de se projeter dans l’avenir, il est passé derechef, alors où se situe le temps , je ne saurais répondre, je ne peux faire qu’une relation avec la pensée qui elle est toujours anticipative. Ceci est aisément vérifiable par la définition même de la vie.
Je me promène donc parmi les vivants sans ressentir aucune émotion, et sans aucune compassion pour ceux qui ont du chagrin ou me regrettent. Je n’ai pas non plus de désirs, pas de sensations, je suis une espèce de robot auto alimenté. Mais, je pense, et ce qui est particulier c’est que maintenant je pense en avant du présent, c’est-à-dire, dans un sens particulièrement égocentrique, mais encore une fois, c’est un sentiment humain, et je ne suis plus humain. Sorte d’ectoplasme qui ne gêne personne et que personne ne dérange, et pour cause, on ne me voit pas, je ne suis rien parmi les vivants, comme je l’ai déjà dit, pas d’émotions, pas de besoin. J’ai par contre gardé ma capacité de voir, de comprendre et de juger. Me déplaçant où je veux, je n’ai qu’à exprimer le souhait de l'endroit où je désire me rendre. Donc pas de tentations, pas de jour, pas de nuit et besoin de personne. Ceci est largement surréaliste car cela revient à vivre seul sur une ile déserte surpeuplée…
Mais alors comment expliquer les désirs et les tentations du monde des vivants, ma capacité à comprendre étant intacte, ignorant l’ennui, toujours neutre, je m’interroge sur la vie de ceux qui restent, sorte d’engrenage kafkaïen, errant toujours entre l’envie et la tristesse, la joie et le refoulement. Que faut-il pour être bien ? Etre intégré dans la société, avoir une femme et des enfants aimants, une bonne situation, rien de tout cela je suppose car la satisfaction est très temporaire et comme une addiction à une drogue perverse. On ne se satisfait jamais de ce que l’on a mais toujours de ce que l’on voudrait avoir. Malheureusement rien n’y pourra rien, les pauvres resteront pauvres et les riches resteront riches. Il est illusoire de penser qu’une quelconque redistribution pourrait satisfaire les uns et les autres. Le mécontents d’aujourd’hui seront les heureux de demain et inversement.
L’agitation permanente dans laquelle on vit, générant le stress, précipite l’homme vers sa fin qui loin d’être torride, est calamiteuse, comment intégrer et faire fonctionner désir et plaisir? Ce sont des questions qui ne me préoccupent dorénavant plus, ce qui me donne autant de détachement pour les analyser. Alors avant d'y réfléchir, pensons simplement que le premier luxe du vivant est de pouvoir y penser, mais encore une fois, avec ses moyens, différents selon chacun.
Le plaisir et le désir, conditionnent la vie de l’homme avec en codicille l’espoir, c’est une faculté intelligente que de pouvoir les mettre en parallèle, je m’en garderai bien, me contentant de les juxtaposer. En effet, ce n’est pas la même chose, mis en parallèle ils avancent tous les deux ensemble, juxtaposés, ils ont leur trajectoire propre qui justement si elle était parallèle infirmerait le postulat d’Euclide car elles se rencontreraient. L’on peut dire également que l’un anticipe l’autre dans les deux sens, le plaisir pouvant précéder le désir qui cette fois ne sera pas au même degré, il viendra après. Et puis, le désir pouvant précéder le plaisir ce qui somme toute est le cas le plus général. Ces trajectoires sont philosophiquement idéales car elles sont à peu près rectilignes, n’ai-je pas mentionné le postulat d’Euclide.
Mais véritablement, sont–elles rectilignes et suivent-elles un chemin classique ?
Il faut d’abords les prendre intrinsèquement, car il y a trop d’artéfacts qui pourraient infirmer une telle démonstration. Le plaisir et le désir, liés par la consubstantialité souffrent de ce que l’on pourrait appeler les vides, à savoir, que lascivement, l’une ou l’autre de ces deux notions peuvent se diluerdans une habitude temporelle sans crier gare, et alors il s’agit d’une mort intellectuelle, car l’on ne peut interrompre le désir au même titre que le plaisir, la rupture est trop franche, et pernicieuse, elle pourra laisser des traces indélébiles qui auront plus tard un mal énorme à se reconstruire. Scott Peck psychiatre américain, suggère d’utiliser des substituts au manque spirituel, ou bien d’utiliser des chemins détournés pour les retrouver. Il les nomme "Les Chemins les moins fréquentés". En fait, ce qui cause la perte des repères chez les psychotiques, c’est le manque de bases acquises mais disparues auxquels ils devraient pouvoir se raccrocher. Le plaisir et le désir sont alors devenus des inconnus psychiques que seule la thérapie peut aider à redécouvrir.
Il ne faut pas confondre envie, désir et jalousie, le désir est sain il est normal et fait partie de l’ensemble spirituel de l’homme, il en est de même pour l’envie qui est la barrière qui s’élève devant la jalousie, sentiment pervers s’il en est, principal cause de drame de l’affect. Le plaisir naturel ne souffre pas de perversité, si la jouissance perverse donne du plaisir, c’est le plaisir qui est perverti, cela n’est plus du plaisir mais un substitut addictif momentanné.
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Pui-je me regarder moi-même en me projetant par exemple dans un monde parallèle, c’est impossible, car l’ego est le moi, et le moi projeté serait un clone de ce dernier. Il y a donc des limites à mon état, cette mort n’en serait pas une, et ce ne serait qu’un rêve, il y aurait néanmoins une mort, celle du corps et une survivance, celle de l’esprit que d’aucun appelle l’âme.
Il y donc une explication, l’esprit survivrait au corps avec son intelligence humaine, ce qui voudrait dire, qu’il n’y a pas de mort car l’esprit fait vivre le corps, c’est le bien inaliénable, impalpable qui nous est irrémédiablement acquis. L’esprit est essentiellement humain, caractéristique de l’espèce. Ce qui prouve bien que ce n’était qu’un rêve et que le plaisir que j’en ai retiré n'était qu’un désir refoulé.
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